Une déclaration d’intention de l’assemblée du local Camarade (Toulouse, France) au projet Fever (ce texte est disponible en plusieurs langues)
Le projet Fever : class struggles under pandemic est une initiative lancée conjointement par plusieurs groupes autonomes de travailleurs qui s’organisent contre l’exploitation capitaliste et agissent pour l’auto-organisation des luttes de prolétaires à travers le monde. Pour l’assemblée du local Camarade de Toulouse, le but est de produire et d’échanger des matériaux à la fois théoriques et pratiques au sujet des luttes de notre classe en temps de pandémie mondiale avec pour seul horizon de « sortie de crise » la révolution, c’est-à-dire l’abolition du capitalisme par les prolétaires engagés dans un mouvement insurrectionnel mondial. C’est pour préciser cette perspective que nous proposons aujourd’hui une déclaration d’intention à destination de Fever. Cette déclaration d’intention est à la fois une proposition de clarification du moment politique que nous vivons et une présentation en chantier des réflexions que nous souhaitons partager avec les camarades partisans de la révolution.
Union sacrée
Les gouvernements, les politiciens, les patrons, les experts : tous nous rabâchent que nous sommes en guerre contre un ennemi invisible à l’œil nu et qu’il va falloir nous battre, parfois nous sacrifier, pour l’intérêt général. L’intérêt général ne vise qu’une chose : que les conditions de l’accumulation capitaliste perdurent. Le pouvoir mondial vient draper la pandémie liée au Coronavirus d’une fable guerrière abjecte et c’est au fil de la dégradation accélérée de nos conditions de vie et de travail, et de l’augmentation de la répression que l’on découvre que l’ennemi pour la classe capitaliste n’est pas le virus à proprement parler mais la capacité de la pandémie à déstabiliser durablement son pouvoir. Puisque nous savons que la pandémie n’a aucune force de proposition (elle n’a pas Twitter), nous devons en conclure que cette déstabilisation émanerait bien évidemment du pôle opposé à la classe capitaliste dans ce mode de production, le prolétariat, qui n’a pas eu à attendre ce moment pour subir les assauts incessants de la loi du marché. Et si la classe capitaliste peut se débarrasser du virus, elle ne pourra se débarrasser du prolétariat, puisque nous sommes sa raison d’être et vice versa. En définitive, nous comprenons donc que la classe capitaliste n’a qu’un ennemi, c’est le prolétariat, et que la pandémie est une séquence de cette lutte des classes. En retour, nous comprenons nous aussi que l’ennemi n’est pas le virus mais bien le système d’exploitation qui donne à ce virus sa réalité sociale et son ampleur. En aucun cas l’épidémie de coronavirus n’est naturelle. Certes, le virus a sa propre constitution biologique, sa façon « naturelle » à lui d’étouffer nos corps. Mais les conditions d’apparition de cette épidémie, l’ampleur qu’elle prend, les conséquences sur nos vies qu’elle suppose etc., toutes ces questions reposent sur la façon dont l’organisation sociale par laquelle nous sommes liés les traite, les traduit en faits. Cette crise va donc au-delà du terrain sanitaire ou logistique, c’est une catastrophe sociale et ce sont les prolétaires qui en accusent le coup. Nous nous retrouvons face à face avec le Capital et face à nous-mêmes par la même occasion. A l’assemblée du local Camarade, notre souhait n’est pas de gérer la crise mais bien d’y mettre un terme.
Sous le prétexte de l’urgence, nous voyons les partis d’opposition, les syndicats et toutes les autres formes de représentation politique qui se réclament de feu la classe ouvrière se ranger derrière l’union sacrée. L’union sacrée est l’expression momentanée de la nature de ces organisations politiques : elles ne visent qu’à maintenir in fine le capitalisme à flot et à préserver ses structures économiques et politiques (territoires nationaux, appareils étatiques, polices, productions industrielles, circuits de distribution). Dans le théâtre du monde politique, elles miment des dissidences en s’époumonant au sujet des limites du capitalisme dit « néo-libéral ». Les limites que ces organisations ciblent sont des limites qu’elles dressent dans l’espoir de reconfigurer les modalités de notre exploitation : leur existence n’a de sens qu’au sein du capitalisme et c’est pour cette raison qu’elles ne seront rien d’autre que des composantes du système que nous combattons. Bien qu’il s’agisse ici d’une évidence, il nous semble important de le marteler dès à présent pour anticiper sur la sortie de crise.
Le monde politique n’est pas le seul à concourir à l’unité martiale de la nation. En bien des matières, l’appel à la mobilisation générale des gouvernements s’est fait entendre à tous les niveaux de la vie quotidienne. De nombreuses initiatives d’organisation à la base voient le jour pour pallier l’incapacité des Etats à répondre aux besoins immédiats de la population. Si nous partageons l’idée de la nécessité de l’auto-organisation, encore faut-il que cette dernière soit mise en œuvre pour la lutte contre la dégradation de nos conditions de vie imposée par les classes possédantes, sans quoi elle ne correspondrait finalement qu’aux besoins du capital. Beaucoup d’exemples, qu’il s’agisse des communs ou des projets communautaires, sont déjà là pour nous rappeler que le capitalisme les absorbe comme du travail gratuit dans le cours quotidien du processus d’exploitation, pour parvenir à baisser la valeur de notre force de travail. Les quelques appels solennels à venir prêter main forte à la grande armée de l’agriculture française, parfois sur la base du volontariat, les assertions en boucle au sujet de la défense du bien commun pour mobiliser les citoyens de l’Etat, la vantardise des initiatives d’aide à la base et l’aménagement de dérogations de circulation spéciale pour celles et ceux qui les organisent : voilà comment l’Etat orchestre le travail gratuit. Applaudir aux fenêtres le personnel soignant tous les soirs à 20h (c’est ce qu’il se passe en France) est la représentation spectaculaire du consentement. Sous couvert de solidarité, l’Etat apprécie cette force de travail gratuite pour maintenir sa position hégémonique. Il n’est pas impossible que ce modèle soit particulièrement plébiscité à la sortie du confinement.
Il est logique, en temps d’austérité, que les forces de reproduction encadrées par l’Etat ne soient pas en mesure de gérer de telles épidémies. A ce titre, la mortalité du virus n’est jamais une donnée absolue. Cette mortalité est aussi une traduction des rapports de force au sein de nos sociétés. Qui est soigné ? Qui est sauvé ? Qui meurt ? Dame nature ne choisit pas seule. Les systèmes de santé à l’échelle mondiale connaissent une véritable submersion et les caractéristiques de chacun d’entre eux (la façon dont ils bénéficient ou non à l’intégralité de la population d’un Etat) influent directement sur la traduction sociale de ces taux de mortalité. Si en France, nous avons un accès étendu aux soins prodigués par le système de santé public, nous savons qu’il n’en est pas de même dans une grande majorité d’autres pays.
Contre les prolétaires
Nous nous trouvons donc devant l’impérieuse nécessité de briser la façade biologique du discours du pouvoir. Ceci doit nous amener à considérer de façon matérialiste les différentes hypothèses de sortie de crise des Etats et de l’OMS. Après l’abandon plus ou moins assumé de la « stratégie d’immunité collective », stratégie qui assurait aux Etats le fait de faire face à des millions de morts (on appelle ça un massacre) et à celles et ceux qui se souviendraient d’eux, la guerre faite contre les prolétaires prend la tournure étrange d’une injonction contradictoire entre le « Restez chez vous sous peine d’amendes » et le « Allez bosser sous peine de disette ». Cet état de fait a ce petit quelque chose d’honnête que la pompeuse « stratégie d’immunité collective » n’a pas. Aujourd’hui, il ne s’agit même pas de dire que tout ira mieux après la tempête. Il s’agit simplement de dire qu’il faut que le monde continue de tourner comme d’habitude sans savoir exactement vers où on va. En cela, le temps de la pandémie ressemble aussi au temps de la révélation.
Les travailleurs du soin et de la grande distribution font face, dans des conditions dramatiques, à l’épidémie et sa puissance infectieuse. Les ouvriers de la production industrielle et de la logistique sont appelés à venir travailler au péril de leur vie pour maintenir la source du profit. Les modalités du “business à tout prix”, qui aura mis finalement peu de temps à réapparaître (si tant est qu’elles aient disparu), proposent que les corps prolétaires soient de la chair à virus là où il y a un siècle, ils étaient de la chair à canon. L’état d’urgence sanitaire mis en place en France rend caduques les conventions qui encadrent l’exploitation, la roue est libre et le gouvernement navigue par décret. Pendant ce temps-là, on nous chasse des parcs mais on nous ordonne de nous entasser dans les entrepôts.
Au-delà des travailleurs en première ligne, les travailleurs temporairement mis au ban de l’exploitation subissent eux-aussi le calibrage essentialiste de l’économie mondiale (maintien en activité des sites de production et de reproduction essentiels à la vie de la nation), sans salaires complets pour acheter de quoi se nourrir, se soigner, se loger, se déplacer, se chauffer etc. Pourtant, tout est encore payant. Sans parler, dans ce cas de figure, du sort fait aux personnes enfermées dans les institutions coercitives de l’Etat.
La sortie de crise est une illusion si on la pense comme un retour à la « normale ». Les avancées drastiques du capital ne sont qu’une première apparition de ce à quoi la crise financière nous destinait. Le coronavirus en restera peut-être l’image d’Epinal mais il est inexact d’affirmer que c’est l’épidémie qui est responsable de la crise financière. Le système n’a jamais repris son souffle depuis la crise de 2008. Il n’a fait que retarder l’échéance en dégradant toujours plus nos conditions de travail, nos salaires et le droit de nous opposer à ces mesures d’austérité.
A ce titre, les turbulences sociales de cette pandémie ne sont pas encore tout à fait appréciables mais nous pouvons présumer que les capitalistes s’y préparent. Nous devons considérer l’introduction massive et la généralisation des technologies de contrôle à destination de ce que le gouvernement nomme « la population » (en réalité principalement tournées vers les prolétaires), dont le confinement est le terrain adéquat, comme la mise en place de moyens matériels à même de juguler en partie par la force et le contrôle nos futures luttes. Au-delà du terrain strictement répressif, les projections dystopiques du capitalisme nouvelle génération n’ont rien d’un fantasme et seront certainement appelées à appuyer les futures conditions de l’accumulation, sans que nous soyons assurés, pour le moment, du contenu exact de ces futures conditions.
Nous n’avons pas attendu le Coronavirus pour savoir que les luttes de prolétaires du monde entier se répondent, parce qu’elles se confrontent au même système, et pour y prendre part.
Il suffit d’évoquer les différentes vagues insurrectionnelles qui ont bousculé le quotidien capitaliste depuis deux ans et leurs similarités pour s’en persuader. La situation actuelle tend à renforcer et densifier cet état de fait et c’est vers et pour une dynamique d’unification que nous nous projetons ensemble dans le projet Fever.
Pourquoi Fever ?
L’intérêt d’une telle plateforme réside dans sa capacité à assurer une forme de liaison et de coordination entre les activités de lutte des prolétaires de par le monde d’une part, et d’autre part une confrontation théorique liée à ces activités, dans le but de proposer une analyse des déterminants majeurs des conditions de reproduction du capital et a contrario des conditions de production du communisme entendu comme le mouvement réel qui abolit les conditions existantes. Nous pensons que la planification révolutionnaire de la révolution avant la révolution est un vœu pieux. La nécessaire coordination des activités de notre classe n’est pas une manière détournée de promouvoir une quelconque centralisation révolutionnaire. La coordination résulte au contraire de la nécessité d’œuvrer à une révolution internationale où la praxis émane des luttes elles-mêmes, et non d’une planification.
Nous parlons de coordination au même titre que les derniers mouvements qui ont bousculé le capitalisme ont emprunté les uns aux autres des méthodes, des discours, des idées, qui peu à peu formulent le problème particulier en une critique globale. Nous souhaitons traduire et relayer autant que faire se peut les activités des prolétaires en lutte dans le monde entier pour les partager et nous les approprier. De chacun selon ses besoins, à chacun selon ses moyens !
Peut-être alors pourrons-nous nous poser la question « comment fait-on la révolution ? » avec de nouveaux éléments de réponse issus de notre intelligence collective. Nous avons besoin d’échanger ensemble sur ce que l’on peut faire, sur ce qui se profile comme sortie de crise, comme modification du régime d’accumulation, de mode de gouvernance, toujours dans la perspective de comprendre les conditions de luttes des prolétaires et de production du communisme. C’est peut-être ça, en plus du fait de participer aux luttes de notre temps, la tâche qui incombe aux prolétaires partisans dès à présent de la révolution.
Une couronne peut en cacher d’autres. C’est sur celles des rois que nous voulons marcher.
L’assemblée du local Camarade
Nous faison l’effort avec des camarades d’autres villes de traduire un maximum d’articles. Pour accèder directement au site en français c’est ICI.